30 juin 2009

Chronique 11

Il nous a fallu une semaine à dos de chamodindes lancées au galop pour rejoindre les landes. Les bêtes, à notre arrivée, ne valaient plus grand-chose, leur endurance ayant repoussé les limites du raisonnable, il leur faudrait des mois pour recouvrer leur force. Eternia retenait ses larmes devant l’état pitoyable de celles qu’elle nommait ses enfants ...

Je n’étais pas revenue depuis plusieurs années. Devant l’austérité de l’endroit je sus pourquoi. Nowogard exaltait de toute part la noirceur de la cité Moriok, sa nature et ses habitants s’abreuvaient dans les fleuves de lave qui encerclent la ville. Malgré la constance du déluge, le magma continuait d’éclairer d’une lueur rougeâtre les environs, il répandait au contact de l’eau des vapeurs acides, aussi brûlantes que le chaudron des enfers. Ici, l’espoir n’était pas de mise, les Moriokiens vouaient leurs âmes aux démons de l’ancien temps, attendant leur venue. Pourtant, nous vivions un moment unique dans l’histoire d’Oslo car même le plus insensible des Moriokiens redoutait le retour de Bogrom à juste titre. Le dragon nous le savions, ne s’encombrerait pas d’adeptes, il dévorerait sans distinction chaque être croisé sur sa route. De cette peur commune était née la première alliance entre les adepte de la bonté et ceux de la cruauté. Grace à cette coalition, nous avions généré la plus grande armée jamais connue. Toutes guildes confondues, nous frôlions les dix-mille têtes. Olk avait accepté pour ne créer aucune rivalité de prendre le commandement. Depuis Moriok, il envoyait ses ordres à chaque meneur et organisait l’attaque.

« Comprends pas comment une poignée de nécromants arrivent à tenir en échec autant d’hommes. » Ai-je murmuré, ébahie devant cette force de frappe que le Mage avait su concevoir.
« Moi non plus. M’a répondu le Chef. Installez le camp là où vous pouvez. Je vais aller voir de quoi il retourne. »

Une heure plus tard, nous avons entendu des détonations depuis la grotte des aranéides. Notre campement était trop éloigné pour comprendre ce qui se passait mais l’agitation semblait gagner les troupes. Aussitôt les trois cousins, mon mari, Kricket et Keelow ont foncé dans le tumulte, je ne sais pas pourquoi moi aussi. Plus je me rapprochais de l’antre, plus je croisais des soldats blessés qui gémissaient dans le vain espoir qu’on les secoure. L’un d’eux m’a agrippé le bras et dans un râle à peine perceptible a demandé de l’aide. J’ai failli vomir mes tripes devant ce spectacle d’horreur. Tout le bas de son visage avait été déchiqueté, comme si une bête affamée s’était régalé de sa chair pour ne laisser que les os. Sa mâchoire apparente arborait un sourire involontaire qui jurait avec sa douleur. Je ne pouvais rien pour lui, ses yeux vitreux contemplaient déjà l’horizon de l’au-delà. Devant mon impuissance, j’ai menti.
« Ca va aller mon gars, tiens bon, je t’envoi un toubib. »

J’ai du jouer des coudes pour m’approcher du repère des aranéides, j’avais perdu de vue mon mari et les autres. Quelqu’un ma pris par l’épaule, j’ai sursauté, c’était Ecce-Deus.

« Il faut s’éloigner, tout de suite ! »
« Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il se passe ? »
« Pas le temps de t’expliquer, on doit rejoindre le camp en vitesse ! »
Je n’avais jamais vu cette lueur d’épouvante dans ses yeux félins.
« Et les autres ils sont où ? »
« Aucune idée, on ne peut pas les attendre. Viens ! »
Il m’a entrainé avec force au milieu de la cohue bousculant sans ménagement ceux sur son chemin pour se frayer un passage. Arrivés au camp j’étais essoufflée.
« Bien à présent tu peux m’expliquer ? »
« Non ! »

Comme le vieux n’était pas de retour, il a foncé vers Eternia.
« Chef, on doit former les rangs tout de suite et se tenir prêt à une attaque. Pas le temps de vous expliquer, c’est urgent ! »

Eternia, à mon instar n’a pas cherché à comprendre. Devinant le danger imminent elle a donné ses ordres. Je reste admirative devant l’efficacité et la force morale dont elle a su faire preuve.

« Les lutteurs et les chevaliers en première ligne ! Bon sang où sont Kricket et Keelow !
« Ils sont partis là-bas ... »

Elle a ragé avant de poursuivre.

« Randomize, couvre le flanc droit avec ton escouade. Ween le flanc gauche. Xinus prend les archers avec toi, essayez de trouver des hauteurs pour avoir une ligne de tir. Je veux un protecteur tout les trois mètres pour activer les boucliers, les toubibs à l’arrière prêt à recevoir les blessés ! »

« Et nous ? »

C’était Led, aussi froid et calme que la mort qui l’habitait.

« Heu, je ne sais pas à vrai dire ... Je vous laisse juge de la meilleure position à tenir. »

Il s’est incliné avec courtoisie, puis se tournant vers ses frères à sifflé entre ses dents.

« Messieurs, allons trouver les Borgs pour agrandir notre fratrie. »

Ils se sont rendus invisibles...Impossible de savoir où ils se tiendraient. Brrrr ... Tout compte fait je préférais les savoir dans notre camp ...

Moins d’une demi-heure s’est écoulée avant la première vague d’assaut. Sur le coup, j’ai cru être victime d’hallucinations. L’ennemi en question était une cohorte de champignons géants qui semblaient glisser sur le sol aride de Nowogard. Ils répandaient dans l’air des spores toxiques et protégeait en leur centre une poigné de Borgs. Ces derniers, lançaient des boules de feu qui venaient s’exploser au dessus de nos têtes, libérant une nuée de flammèches. Ceux touché par l’une d’elles voyaient leur habit s’enflammer. Très vite, des corps incandescents se sont mis à courir dans tout les sens, leurs cris d’épouvante retentissaient comme un chant de damnés. Nous n’avions aucune chance d’en réchapper. Nos boucliers commençaient par endroit à crépiter sous l’impact répété des flammes.

« Repliez-vous ! » à hurlé Eternia.

Les gars ont commencé à reculer. C’est alors qu’un énorme champignon, dont le pied dépassait les trois mètres de haut, a quitté sa formation pour foncer droit sur nous. Un bolet à première vu, affublé d’une longue langue jaunâtre qui léchait le sang répandu sur son passage.

« Repli immédiat !!! » a gueulé de nouveau Eternia.

Le champignon nous rattrapait, je sais, pas facile à croire et pourtant ... J’ai cherché du regard mon mari pour garder en mémoire son doux visage, je savais ma dernière heure venue. Je l’ai vu dix mètres plus loin, son corps taché de sang. A son tour il m’a vus, avec légèreté il m’a lancé un clin d’œil complice, a dit quelque chose, j’ai cru comprendre « A bientôt », puis dans un soupir, s’est écroulé. J’ai hurlé. Aveugle à toute menace et folle de rage, je me suis précipité vers lui. C’était trop tard... Il ne restait de lui qu’un corps inerte, froid et sans vie. Je ne sais pas combien de minutes ... de secondes ... se sont écoulées. Mais au milieu de mes larmes, j’ai pu distinguer l’énorme masse du bolet qui me dominait.
« Vas-y ! Bouffe-moi ! »

A cet instant, plus rien n’avait d’importance ... Ma vie ressemblait à un tableau dépourvu du moindre attrait. Le champi a sorti sa langue pour ceinturer mon corps, une lame étincelante est venue la pourfendre, arrachant au monstre un hurlement de rage. C’était Kricket.

« J’arrive à point nommé. » Un trait d’humour que je n’ai pas relevé.
« Alors gros tas de spores, t’attends quoi pour m’frapper ! »

Le bolet encore sous le choc de sa langue coupée à bondit sur le lutteur dans l’espoir de l’écraser. J’ai compris alors comment le monstre se déplaçait, à l’aide de milliers d’araignées qui besognaient sous son pied. Au moment où il s’est projeté dans les air, les aranéides se sont dispersée de toute part. Kricket a disparu sous l’énorme masse. J’ai bien cru qu’il avait rejoint mon mari. Mais soudain sa dague est ressortie en plusieurs endroits, mettant le monstre au supplice et l’obligeant à s’éloigner pour esquiver les coups.

« Mamichup ! Ce soir fricassée de champignon à la sauce floribonde ! » A raillé Kricket.
« Alors on s’amuse sans moi ? » Keelow venait de le rejoindre.
« T’inquiète frangin ya encore de quoi faire. »


Les trois cousins Manfriine, Romuluss et Gurre ont fait leur apparition. Couverts de sang, de contusions et de blessures mais jubilants... ils étaient dans leur élément.

« Belle bête ! Ces lutteurs, faut toujours qu’ils se tapent la meilleure part du gâteau ! »
« Ouè, pas question qu’on reste sans rien faire ! On est de la partie les gars, qu’ca vous plaise ou non ! »
« Regardez et laissez faire les experts ! On va vous montrer comment couper de fines rondelles sans émousser la lame ! »



Je suis restée accroupie, tenant dans mes bras celui qui fut mon mari, à regarder sans le voir, le combat que menaient mes frères d’arme.

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