14 juil. 2009

Chronique 13

Le lendemain, le soleil avait reprit possession du ciel avec une fougue peu commune, comme si son absence forcée l’avait mis au supplice. Il réchauffait à présent les terres du royaume et nos âmes affaiblies. Dans les landes, les dernières gouttes de pluie accrochées aux branches dénudées des arbres, se voyaient anoblies par son éclat. Une lumière opaline colorait l’atmosphère de reflets évanescents et rendait la vie étrangement belle, comme une fenêtre entrouverte sur l’éternité. J’ai levé les yeux... Quelques cumulus dérivaient encore au cœur de l’étendue bleue, orphelins en quête de cieux moins propices. A la vue de cette journée radieuse, j’avais peine à admettre les souffrances de la veille... Etait-ce vraiment arrivé ? Toutes ces morts ? Tous ses cris ? Le départ d’Ecce-Deus? Les paroles de Bogrom ? Oui pas d’doute la d’sus, le massacre fut on ne peut plus réel. Une multitude de petits détails sordides, comme des moucherons qui vous pourrissent la vie en jouant avec vot’ peau, tapissaient les landes pour nous rappeler l’horreur, pas moyen de fuir dans de douces illusions.

Chancelante, j’ai rejoint Hastur et Eternia. Assis sur la souche d’un énorme olivier ils avalaient, le regard absent, une sorte de bouillie brune. A première vue, l’expression de leur visage laissait entendre qu’il ne s’agissait pas de caviar.
« Ptit dej local ? Ça pas l’air ragoutant... »
Eternia a soupiré, en acquiesçant, quant au chef il a ronchonné.
« Les ingrédients sont local le cuistot non, si tu vois c’que j’veux dire. La sale teigne a rien trouvé d’mieux à faire qu’’cette merde infâme qu’elle nomme velouté aux champignons des landes ! J’vais finir par croire qu’elle bosse pour l’ennemi si elle continue à nous empoisonner de la sorte ! Bordel, les gars vont passer la journée à courir derrière des buissons pour se vider par tous les trous possibles ! Comme si on avait qu’ça à foutre ! »
Il a tapoté le bois pour m’inciter à m’asseoir à coté de lui.
« J’suis désolé pour Deus, c’était un brave type et pas con avec ça. Il va nous manquer à tous. Surtout n’hésite pas si t’as besoin d’aide on est là. »
Ptin j’étais gênée, quoi dire ?
« Merci patron. »

Mer-ci-pa-tron? Non mais je rêve ma pauve fille ! C’est tout ce que tu trouves à dire ? Il t’a pas aidé à porter ton armure bon-sang ! Enfin... pour ma décharge faut dire qu’ c’est le genre de situation où aucun mot n’est approprié, conclusion vous vous sentez con, quoi que vous disiez vous vous sentez con...

« Le rituel de purification par le feu s’applique aux Forintiens ? »
Il faisait référence aux buchers funéraires dressés par les gars pour recevoir la dépouille de leurs frères d’armes.
« Oui »
« T’as oint son corps? Pour les croyants l’huile de chanvre permet aux âmes d’atteindre plus rapidement leur vie future. »
« J’ai entendu dire ca... Je comptais m’en charger après le ptit dej... si je survis à l’expérience culinaire de Mamichup. Vous y croyez vous ? »
« A quoi ? »
« Bah à cette histoire d’huile ? »
« Pff des craques ouè ! Une rumeur colportée par les commerçants pour accroitre leur chiffre d’affaire ! Mais j’ te conseille de l’faire tout de même, l’âme montera ptêtre pas plus vite mais la chair se consumera rapidement et c’est pas plus mal vu le nombre de corps à brûler. »
« Hooo excusez moi... » Eternia s’est levée d’un coup, les mains crispées sur le ventre.
« Je crois que... Je....Je... »
« Et voilà ça commence ! Je vais tuer de mes propres mains cette face de rat bordel !!! Tu veux de l’aide mon cœur ? Dis-moi quoi faire. »
« Rien, rien... » Elle a foncé derrière le buisson le plus proche.
« Bon ben finalement j’vais faire l’impasse sur le ptit déj pour aller m’occuper d’Ecce. »
« C’est plus prudent en effet. »

Arrivée dans ma tente j’ai vu des ombres en train d’emporter le corps de mon mari, je n’ai pas eu le temps de me précipiter sur les voleurs ni de crier. Un coup violent sur le crâne m’a envoyée faire un séjour au pays des centaures roses et des sphinx à tête de tortue. Impossible de dire combien de temps s’est écoulé durant mon coma, mais lorsque j’ai émergé, la cérémonie commençait. J’ai balayé du regard l’intérieur de ma tente, la table sur laquelle reposait auparavant mon époux était vide. Quels genres de salauds peuvent être assez insensibles pour voler des cadavres !!!! Titubante je suis sortie pour trouver de l’aide... Un barde chantait en l’honneur des héros morts au combat...

D’un pas digne je rejoins mes ancêtres.
Devant eux j’apparaîtrai sans honte ni regrets.
Ho vous frères d’arme chantez mes exploits,
Je suis mort au combat sans frémir.
Je n’ai laissé ni la peur, ni la lâcheté,
Salir le souvenir de mon trépas.
Donnez-moi mon épée, ma lance,
Ma hache ou mon marteau !
Dans l’au-delà je poursuivrais le combat.
Adieu mes amis, adieu...
Ne pleurez pas mon départ,
Bientôt vous me rejoindrez
Ainsi s’achève le destin des hommes.
Mais en attendant, chantez,
Buvez et baisez tant que vous pouvez !
Car demain il sera trop tard...


Les gars se sont mis à hurler « HOUM ! HOUM ! HOUM ! » Tout en tapant du pied comme le voulait la coutume. La procession des corps jusqu’au bûcher a commencé, rythmée par le martèlement cadencé des hommes. On aurait cru à un orage souterrain tellement ils étaient venus nombreux pour cet adieu. Furieuse de ne pouvoir offrir à mon époux ce dernier hommage j’ai foncé vers le chef en hurlant « Ecce a disparut ! On a volé son corps ! »
« C’est impossible ! Même les moriokiens respectent les morts ! »
« On m’a assommée quand j’ai voulu rattraper ces enfants d’putain ! »
« Bordel ! Je te promets de pas lâcher l’affaire, on va les retrouver et leur faire payer cher ! »

Soudain sans prévenir Led et ses comparses sont apparus à notre droite. Ils portaient tous de longues tuniques noires surmontées d’une capuche qui cachait aux trois quarts leur crâne. Vu le nombre croissant de son escouade, la pèche avait été bonne. Il m’a fixée avec insistance, dans la pénombre de ses orbites tournoyaient des volutes de fumée noire.
« J’ai un cadeau pour toi Eriaka. »
« J’ai pas le temps, on a volé le cadavre de mon mari alors tu m’excuses mais faudra repasser. »
« Cela concerne justement la disparition d’Ecce-Deus. »
« Quoi ?! Tu as retrouvé son corps ? »
« En fait je suis responsable de cette disparition. Hooo j’espère qu’Ortik n’a pas tapé trop fort. » Il a désigné mon crâne.
« C’est quoi ces conneries !!! T’as intérêt d’avoir une bonne explication sinon je te réexpédie vite fait en enfer et cette fois personne t’en fera sortir !!!! »
« Allons, allons, pourquoi tant de haine... Je te l’ai dit c’est un présent, ou si tu préfères une surprise.... » Sa voix mielleuse et faussement condescendante trahissait le plaisir qu’il éprouvait à me voir flipper. Il a fait signe à un jeune nécrop de s’approcher, puis se tournant vers moi il a sifflé entre ses dents dénudées.
« Et bien, tu n’embrasses pas ton mari ? »
J’ai cru que j’allais tourner de l’œil.
« Non, c’est impossible, impossible... L’âme de mon mari n’a pas pu accepter ça, vous l’avez forcé ! »
« Pas le moins du monde. Il s’est porté volontaire, il a même insisté! Pour te protéger a-t-il dit. Je reconnais avoir omis de lui rappeler qu’un nécrop perdait le souvenir de sa vie passée mais que veux-tu j’étais tellement sollicité, je ne pouvais pas m’éterniser à expliquer en détail les lois qui nous régissent... Savais-tu par exemple qu’il nous est impossible de recruter plus de cent nécrops par an ? C’est une règle stupide instaurée par le dieu Kine pour mieux nous contrôler. Evidement, la candidature de ton époux ne pouvait être rejetée... Hooo quelle tristesse, il ne te reconnaît pas, mais par contre il m’obéit à la phalange et à l’orbite... Ts ts ts ts...»

Son rire a percé mes oreilles comme une aiguille chauffée à blanc. Je lui ai balancé un crochet du gauche, sa mandibule s’est décrochée, le plus calmement du monde il l’a remise en place en me menaçant « Quelle ingratitude, je t’excuse pour cette fois ci mais ne t’avise pas de recommencer car c’est moi qui prendrai un malin plaisir à t’expédier dans l’au-delà. »

« TU ES VIRE !!!!!! VIIIIIREEEEEE !!!!!!!!!! » C’était le chef, je ne l’avais jamais vu dans cet état, il fulminait de rage par tous les pores.
« Hoo cela ne me gêne pas. Pour être honnête je ne comptais pas faire carrière dans cette guilde... » Puis sans crier gare il a fait signe à son escouade et ils ont disparut.

Le chef se sentait mal, s’il n’avait pas enrôlé Led tout ça ne serait jamais arrivé.
« Il doit exister une méthode pour ramener un nécrop à l’état de mort. Je demanderai à Olk s’il peut nous aider. Ne t’inquiète pas on va trouver une solution. »

Je suis partie en silence m’écrouler dans mon lit pour fuir cette satanée réalité dans le premier sommeil soucieux de ma peine.

Aucun commentaire: