10 août 2009

Chronique 15

Comme je le craignais, Old n’a pas attendu l’aurore pour ouvrir les hostilités...

« Tiens, tiens, tiens... Mais c’est l’frangin et sa meute de chiots... Alors on a perdu son chemin ? Au cas où tu l’aurais pas r’marqué, t’es à Moriok gamin. Ici ya pas d’bac à sable ni d’ balançoire mais des rues sombres, de vrais coupe gorges. Si tu veux jouer aux méchants, j’te conseille le nord, tu pourras faire illusion auprès des gentils farfadets. Faut pas fricoter avec les démons quand on n’en est pas un, c’est dangereux. Pis j’voudrais pas avoir à consoler mame s’il t’arrivait malheur. »

Le chef a saisi le manche de sa pelle. Eternia a posé sa main sur la sienne pour retenir son élan.
« Il n’en vaut pas la peine ! Ignore-le. »
Hastur a poussé un grognement de frustration, il a regardé sa femme d’un air suppliant, comme un fauve en cage.
« Non mon mari, ce n’est vraiment pas une solution crois-moi. »
« A c’que j’vois c’est toujours ta matrone qui commande ! Même pas foutu d’se faire respecter par sa femelle... T’aurais du m’écouter la nuit d’vos noces, une bonne trempe pour annoncer les règles et elle lècherait ta gamelle à l’heure qu’il est ! »
« Bordel s’en est trop ! C’est ma pelle que tu vas lécher !!! »

Le vieux s’est levé sans prévenir, Eternia a crié un non inutile, Old a sorti sa hache et les fers se sont croisés. Immobile, chacun pesant de tout son poids sur son arme pour faire flancher l’autre, les frangins se dévisageaient avec haine. Leurs pupilles grises ne lançaient pas d’éclairs mais une lueur glacée à vous dresser le poil. La taverne du Mort n’a jamais mieux porté son noms qu’à cet instant, plus personne ne pipait mot. Bien sur, cet arrêt sur image serait de courte durée, les statues de cire que nous étions finiraient par fondre pour laisser place à des corps déchainés et à une rixe d’envergure. J’ai redouté l’étincelle provocatrice du brasier, Hastur ne parviendrait pas à prendre le dessus et les mercenaires d’Old auraient vite fait de nous tailler en pièce pour décorer l’endroit de confettis rouge sang si nous tentions d’intervenir. Le vieux pensait sans doute la même chose mais il était trop tard pour reculer. La moindre retraite lui aurait valu le discrédit auprès des gars de la guilde.
J’ai beau être comme tout le monde, à râler après mes supérieurs, à les considérer comme des planqués à l’abri de toute galère, le pouvoir accordé aux dirigeants, je le sais, nécessite une sacré dose de force morale, puis, ça doit vous pourrir la vie d’être la cible préférée des sarcasmes et des critiques... Finalement, chaque homme se voit contraint de faire une pelletée de concessions, ya pas d’ destinée exempte d’emmerdes... Et tout ca pour quoi ? Pour crever. C’est à se demander si les dieux étaient pas bourrés le jour où ils nous ont inventés !

Debout dans un coin de la taverne, j’ai mis à contribution toutes les cellules grises dont m’avait dotée la nature pour imaginer un moyen de nous sortir de ce pétrin. Faut croire qu’elles étaient moins valables que mon amour propre l’aurait voulu car j’ai rien trouvé.

Les bras du chef ont commencé à trembler, Old a esquissé un sourire de victoire avant de relâcher sa prise pour donner un coup d’estoc...

A cet instant vous vous dites un truc du genre « Meeerde, le vieux a du déguster ! » ou « Ho putain non pas lui ! »... Bah, vous savez ya pas plus inventive qu’la vie pour créer des scénarios à rebondissement...

Alors que la hache d’Old s’élevait pour fendre le crâne de notre chef, une petite voix nasillarde s’est fait entendre, interrompant le mouvement.

« Monsieur Grine, monsieur Grine, dois-je vous rappeler qu’en vertu du traité de Natre ratifié lors de la convention Aerla, traité qui réunissait tous les mercenaires du royaume, vous y compris, il est interdit, sauf provocation nuisible à votre santé de, je cite "blesser, empoisonner, égorger, bruler, écarteler ou toutes autres fariboles susceptibles d’abréger la vie des personnes combattant Borgom jusqu’au trépas de ce dernier." Paragraphe 61 alinéa 3. Cette réglementation, je vous le rappelle, a pour but de garder une force de frappe suffisante face aux borgs. Je me vois donc dans l’obligation d’intervenir et de vous demander d’abaisser votre arme. »

« Pff, c’est pas un guerrier ! C’est un vieux débris aux ordres d’une bonne femme ! J’vois pas en quoi il peut être utile dans la guerre contre Bo ! »

Je me suis mise sur la pointe des pieds pour tenter de voir le type, en vain. Qui que ce soit, c’était pas un géant.

« Monsieur Grine, monsieur Grine, je réitère ma requête, veuillez cesser sur le champ cette animosité à l’encontre de votre adversaire. Paragraphe 1458 alinéa 22, "Tout jugement hâtif, je cite, visant à discréditer la valeur d’un combattant afin de lui faire la nique ou d’assouvir une quelconque vengeance est répréhensible. Le mercenaire responsable d’un tel débordement devra répondre de ses actes et encourra le cas échéant une sanction à la mesure de la faute sus nommée." Monsieur Grine, je sais combien cela vous coute de ne plus égorger à tout va mais j’ajouterai ceci, paragraphe 3102, alinéa 899, je cite "Ce traité poursuit un seul et unique objectif, sortir victorieux du conflit qui s’annonce." Soyez assuré que si nous survivons à cette époque de tourmente, chacun ici présent pourra à loisir reprendre ses activité illégales voir immorales en toute impunité et ce dans la seconde qui suivra le dernier souffle de Borgom. Je vous enjoins donc de faire appel à votre patience. »

Je me suis faufilée entre les clients du bar pour voir quel genre de type était assez cinglé pour s’interposer entre deux guerriers sur le point de s’étriper. Arrivée à hauteur de Krikcet j’ai découvert un xal.

Petite parenthèse à propos des xals. Un peuple méconnu qui mérite quelques lignes. Tout d’abord, pour ceux qui douteraient encore de leur humanité, je répondrai sans hésiter qu’ils sont tout aussi humains que vous et moi. La rumeur affirmant qu’il s’agit d’une race de gnomes a servi durant des siècles d’alibi aux esclavagistes pour éviter de froisser leur conscience, mais pas besoin d’être anthropologue pour y voir un ramassis d’ conneries. A l’origine leur territoire s’étendait d’un bout à l’autre des marais de Zuly. Cinq siècles de colonisations ont permis d’annexer cette région et il n’existe plus à proprement parler de royaume xalien. Bien que l’esclavage soit aboli dans les contrées du nord depuis longtemps, il est rare de croiser un xal travaillant à son propre compte. Les royaumes Tyndaniens, dans leur grande mansuétude ont brisé les chaines de la servitude en omettant d’offrir à leurs anciens esclaves de quoi prendre un nouveau départ. Loué soit l’homme pour sa grande générosité ! On trouve toutefois quelques xals de grande renommée, brillants sur les champs de bataille et redoutés pour leur talent d’hypnose. Le plus célèbre d’entre eux étant Alzirah ; une magicienne capable d’hypnotiser un lapin pour qu’il agresse un ogre. Enfin pour conclure, un petit conseil : Ne faites jamais l’erreur de confondre un honurion et un xal, il vous en couterait un mauvais souvenir accompagné de quelques contusions. L’honurion est à ranger dans la catégorie des nains, le xal dans celle des lilliputiens. Le premier peut atteindre les un mètre soixante, le deuxième ne dépasse jamais les un mètre vingt.

Bien revenons à cette nuit de folie...
« Bordel mais t’es qui ? » A craché le vieux en dévisageant le xal.
« Adéus Xelos, comptable. Je gère les biens de votre frère depuis deux ans. »
« Ses biens ? »
« Exactement. Un mercenaire de la trempe de monsieur Grine avait toutes les chances de voir sa fortune faite en peu de temps ! Toute-fois, gagner ou voler de l’argent est une chose, le faire fructifier en est une autre et c’est là que j’interviens. Nous avons investi dans l’immobilier, plus précisément le quartier ouest de Moriok, un quartier des plus chics, vous en conviendrez. Votre frère possède à l’heure actuelle une vingtaine de maisons qui lui rapportent un joli pécule. Je dois admettre que la guerre a du bon, les prix des loyers flambent et la demande ne désemplit pas ! Vous-même, avez-vous des biens matériels ? »

Le vieux a fait son regard de sirène frite.
« Heu non. »
Le xal a rajusté ses lunettes rondes, lissé ses cheveux gominés en prenant soin de ne pas toucher sa raie d’une perfection flippante et plongé sa main dans la poche de son gilet pour en sortir une petite carte.
« Si vous êtes intéressé par un éventuel partenariat, voici mon adresse. Je suis souvent en déplacement mais ma mère vit chez moi, elle sait comment me contacter. »

« Non mais tu comptes pas bosser pour ce raté ! Cette mauviette décrépite ! Ce mendiant infesté d’puces ! Cette tache qui souille mon paysage !!!! Furoncle ! Momie cramoisie ! Pétomane empressé ! Babouin sénile ! Ramolli d’la tronche ! »

Faut l’ reconnaitre Old a toujours eu une inspiration prolifique dès qu’il s’agit d’injures...

« Allons monsieur Grine, pas de jalousie mal placée. Les règles ont été claires dès le début de notre collaboration ! Le profit, voila le seul contrat que j’honore. »

« Pfff, j’préfère pas être au courant, ça va m’donner la gerbe ! »
Il s’est dirigé vers une table à l’autre bout de la pièce en gueulant « Tavernier t’as trois s’condes pour ram’ner ton cul et prendre commande ! Sinon j’crame ce taudis qui t’sert d’auberge ! »

Le xal a fait une courbette à l’attention d’Eternia et d’Hastur.
« Pour la bonne suite des événements, il semble préférable que je le suive. Au plaisir. Madame, monsieur. »

Arrivé à ma hauteur, il s’est arrêté comme foudroyé. Sur le coup j’ai pas compris, mais très vite j’ai senti monter en moi les affres du ridicule...

« Madame, si j’osais, je vous dirais que nul visage avant le vôtre n’a su animer la flamme qui sommeille dans mon cœur solitaire. Vous êtes une étoile au milieu du néant. Une fleur miroitante au cœur du désert. La source où je désire dès à présent m’abreuver et ce jusqu’à ma dernière heure. »

J’ai entendu pouffer derrière moi, c’était les trois cousins, Kricket et Keelow. J’les aurais volontiers étripés. Le xal a poursuivi, histoire d’offrir aux gars de la guilde assez de matière pour se foutre de ma gueule dans les siècles à venir !

« Pourrais-je vous offrir une coupe de champagne des landes ? Il y a un clair de lune d’une douceur exquise et j’aurais plaisir à me promener en votre compagnie sous la voute céleste qui resplendit en l’honneur de votre beauté. »

J’ai surpris dans l’embrasure de la porte les amoureux qui me lançaient des clins d’œil complices ! Bon sang ! Que quelqu’un me vienne en aide !!!!

« Monsieur Xelos, cette femme porte le deuil de son mari mort hier. Je crains qu’elle ne puisse répondre à votre requête. »

MERCI ETERNIA !

« Soit... Je saurai être patient car l’attente n’est jamais vaine lorsque la récompense se trouve être la somme de la perfection et du bonheur. »

Le saligot m’a fait un baisemain !

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